Thursday thunder: les icônes préfabriquées


Je ne sais pas si certains se souviennent du capitaine Tom Moore, cet anglais centenaire qui a fait la une de tous les médias, mème continentaux, pour avoir récolté de l’argent pour le NHS, le système de santé britannique, en pleine première vague? Il faisait des tours de jardin avec son déambulateur pour des dons. A l’époque, et encore après sa mort, les médias anglais l’ont pratiquement béatifié, il était partout. Aujourd’hui, on apprend que la grande majorité des dons a servi aux frais administratifs de l’association gérée par sa famille et les gens commencent enfin à se poser des questions. Ce pauvre monsieur, plein de bonnes intentions et totalement de bonne foi, n’y était strictement pour rien, c’est la glorification médiatique d’une image d’Épinal qui n’avait plus grand chose à voir avec sa vrai personnalité, qui est problématique.

Sans diminuer tout le mérite d’un si vieux monsieur à se démener comme ça pour la bonne cause, ce genre de chose est extrêmement courante en Angleterre pour tout un tas d’associations. Vraiment, on ne se rend pas compte depuis la France, où c’est souvent plutôt des campagnes nationales institutionnalisées, mais absolument tout le monde en UK, y compris les enfants, participe et/ou organise deux ou trois événements sponsorisés par an, minimum. Ça va de courir un marathon à vendre des cupcakes en passant par aller au boulot en pyjama. Personne ne s’est demandé pourquoi, au milieu des dizaines de milliers d’initiatives journalières, les médias et le gouvernement ont décidé d’instrumentaliser celle-là précisément, et à ce moment là? Pourquoi on a outrageusement profité de l’image d’un vétéran, à qui on a demandé de poser avec médailles et tout le tintouin, pile quand on avait besoin de détourner l’attention après la gestion catastrophique du gouvernement ? Ni quand on faisait la promotion du Brexit avec des accents nationalistes en ressortant le « blitz Spirit »? Un vétéran centenaire qui récolte des dons pour le NHS, c’est pratique, ça fait double emploi (et pour dire que c’est aux gens de se prendre en mains et de se dépatouiller de la pandémie, il ne faut pas tout attendre du gouvernement, et pour glorifier le « rule Britannia » en même temps) et c’est émouvant. Pendant qu’on s’extasie, on oublie de réfléchir, c’est parfait!

L’histoire de ce pauvre capitaine Tom n’est pas isolée. Pour des raisons qui ne sautent pas toujours aux yeux au premier abord, les médias s’emparent d’une personne et la reconstruisent pour en faire une sorte d’icône au service de l’actualité du moment. C’est pratique, pas besoin de s’embêter à faire un vrai travail d’investigation, d’information, d’explication, bref de journaliste. Pourquoi se fatiguer alors qu’on peut émouvoir le bon peuple à peu de frais sans se fouler? Ça serait bête de s’en priver pour se mettre à vraiment bosser quand même! Par paresse, on préfère raconter de jolies histoires plutôt que d’informer sur des sujets hardus, certes, mais un chouïa essentiels. On flatte les émotions plutôt que d’en appeler à l’intelligence. En France, c’est pareil. En pire. On n’a pas glorifié un vieux monsieur admirable et vraiment plein de bonnes intentions, mais un autre qui s’est transformé en gourou de secte. Qu’une partie des dons soient allée directement à la famille de Tom Moore, c’est contrariant pour ceux qui ont participé à la collecte, mais ça n’a pas provoqué de mort. Alors que les nouvelles icônes des plateaux télé, entre antivax et faux sauveurs autoproclamés de l’humanité, ils font beaucoup, beaucoup plus de dégâts…

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