brexit nightmare


Le 31 octobre, je devrais écrire un billet sur Halloween. J’avais la ferme intention de le faire. Seulement je n’ai pas le cœur à ça. Parmi la montagne de commentaires indignés que ma défense d’Halloween a provoqué ici ou sur le huffpost, quelqu’un s’est moqué ironiquement, je cite : » il y en a qui ont de vrais combats ». Et bien oui, justement. Malheureusement, je sais bien que cette personne, qui trouve intelligent de critiquer sans voir plus loin que le titre, un billet humoristique ne prendra pas la peine de lire quand je parle sérieusement d’un sujet qui me touche. Parce que tout le monde s’en fout, du brexit et du sort des sales expats qui n’avaient qu’à pas partir. Alors que je suis terrorisée (même en étant à l’abris maintenant), par ce qui se passe juste de l’autre côté de la Manche pendant que le monde regarde ailleurs. On ne parle plus d’Halloween, là ça fait vraiment peur. Hier, la ministre britannique de l’immigration, parce que oui, il y a une ministre de l’immigration à Londres, était devant la commission parlementaire sur le brexit, et ce qu’elle a dit m’a effaré, tout comme ça a plongé dans une angoisse aiguë des millions de personnes.

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Caroline Nokes, cette ministre zélée de Zaza, la grande sorcière du brexit, a décidé de suivre les traces de sa chef. Vous savez Zaza qui, quand elle était ministre de l’intérieur avait fait détruire la base de données recensant les enfants jamaïcains (entre autres), entrés légalement sur le territoire britannique dans les années 50 et 60 avec leurs parents, invités par l’état pour aider à reconstruire le pays? Comme ça, Zaza a pu soudainement exiger qu’ils prouvent leur statut migratoire 60 ans plus tard, alors qu’elle avait effacé elle-même la preuve qu’elle leur demandait de fournir. Et des dizaines et des dizaines de retraités se sont retrouvés à la rue, privés de logement, d’allocations, de retraites, d’accès aux soins…Zaza a poussé jusqu’à en expulser vers des pays qu’ils ne connaissaient même pas. Le scandale (Windrush scandal, on en a parlé un peu en France) a éclaté après les premiers morts. Et bien la petite Caroline a trouvé moyen de faire mieux que Zaza, puisqu’elle s’attaque elle, à 3,6 millions de personnes d’un coup. Cette brave fasciste femme a expliqué benoîtement aux parlementaires abasourdis, déjà qu’ils lui faisaient perdre un temps précieux à lui poser des questions, mais surtout qu’à partir d’avril 2019, les employeurs devront vérifier que leurs salariés européens ont bien le droit de travailler en Grande-Bretagne, pour les différencier des nouveaux arrivants. Comment les européens qui sont installés en UK légalement je le rappelle, vont s’y prendre pour prouver ça ? La ministre a répondu sans rire: en fournissant un document qui n’existe pas. Voilà.

La sidération des députés n’est rien comparée à l’horreur et la colère ressenties par les européens (l’audition de cette sombre conne xénophobe était télévisée) devant autant d’ignominies. Les parlementaires ont insisté: comment faire concrètement? elle s’en fout. Les députés n’ont pas lâché l’affaire: elle y réfléchira, si elle trouve, elle leur répondra par écrit plus tard, peut-être. C’est tout. Dans les faits, les européens vont devoir faire une demande de settle status, payante bien sûr, et qui peut être refusée pour avoir le droit de rester dans le pays, dans leur propres foyers. Le gouvernement a déjà annoncé qu’il n’y aura pas de document papier, juste une base de données (encore une…) et qu’on attribuera simplement un numéro à ceux admis à rester (on ne parle pas encore de le leur tatouer..oui, j’assume le point Godwin). La mesure, testée sur quelques dossiers faciles en ce moment, commencera donc en même temps que le brexit et le gouvernement d’un optimisme béat, affirme qu’il aura traité 3,6 millions de dossiers en deux ans (ne cherchez pas, c’est impossible, les prévisions les plus généreuses parlent de dizaines d’années). Mais il faudra que les européens dès le premier avril 2019 (ce n’est pas une blague ), alors qu’on commencera à peine à examiner les premières demandes de settle status, prouvent qu’ils ont le droit d’être là. Sans que l’état n’ait encore statué sur leur sort. Et en présentant un document qui n’existe pas et que l’état ne leur donnera pas de toute façon. Kafka n’avait aucune imagination en fait…

Les députés ont essayé de faire comprendre toute l’absurdité de la mesure à la ministre, mais ce n’est pas son problème. Les employeurs, qu’on transforme en police de l’immigration, ne vont-ils pas simplement refuser d’embaucher des européens plutôt que de risquer des amendes substantielles si ils ne remplissent pas une tâche impossible? Peut-être, c’est à eux de voir, ça n’empêchera pas Caroline de dormir. Les européens installés légalement depuis des années, voire des décennies, travaillant, payant des impôts, parfois avec des conjoints et des enfants britanniques et à qui l’état donnera peut-être le droit de rester d’ici deux ans, risquent donc de tout perdre le premier avril prochain. Leur boulot, mais aussi leurs allocations, leurs logements, leurs droits à la santé, et comme les windrush children avant eux, ils peuvent se retrouver en centre de détention, se faire expulser (parce que tout est lié). Les députés étaient effondrés. Moi aussi. Des centaines de milliers d’européens devant leurs écrans aussi. Sans ce mystérieux document fantôme qui j’insiste, n’existe pas et n’existera pas, les européens font quoi, à partir d’avril? Ça fait deux ans et demi que le cauchemar a commencé, qu’on se bat sans relâche, qu’on essaie d’y croire, et que chaque petit pas accompli, chaque progrès, chaque espoir est détruit sans ménagement par ce gouvernement de xenophobes incapables.

Je continue à faire ce que je peux à mon petit niveau. Des européens extraordinaires de patience et de résilience se battent tous les jours, pour que tous puissent juste continuer à mener normalement leur vie en Grande Bretagne. D’autres ont préféré prendre les devants. Ça n’empêche pas, au contraire, d’essayer d’alerter nos pays d’origine. Comme eux, Maricheri et moi avons décidé, il y a un an que ce n’était plus tenable. On a quitté notre forever home, bouleversé la vie de nos enfants et notre quotidien familial, et ce n’est pas facile tous les jours (ceux où Maricheri reste à Londres…), on a abandonné tout ce qu’on avait construit, la vie qu’on voulait mener, une partie de nos idéaux aussi…ce sont plus de 150 000 européens qui sont déjà partis. Est-ce que la seule solution en avril prochain, sera d’en faire autant pour 3,6 millions de personnes? Welcome to brexit Britain.

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10 commentaires pour brexit nightmare

  1. dhelicat57 dit :

    On hallucine… cela devient d’un glauque! Moralité vous avez pris la bonne décision mele si ce n’est pas facile de tout reconstruire après si longtemps passé la bas et surtout après avoir vu vos rêves s’écrouler je pense bien à toi bises

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  2. AuroreVoyage dit :

    J’imaginais bien que cette période ne serait pas facile mais de là à virer des gens installés depuis longtemps aussi malproprement ? …

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  3. Maman Voyage dit :

    Si ça tourne aussi mal on n’aura pas fait long feu… Ce suspense sur notre sort est pénible… Pour l’instant mon mari travaille mais moi je voulais commencer ma recherche d’emploi sauf qu’à mon avis ça va être compliqué de motiver une entreprise à embaucher une Française à la veille de ce fichu Brexit… bref… à suivre !

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  4. olivialebeon dit :

    On a l’impression que d’être dans une série TV mal ficelée….. C’est fou!

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  5. Jeanne Ho dit :

    c’est hallucinant!!

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  6. carrie4myself dit :

    Je ne sais quoi dire avec tout ce qui se passe/ne se passe pas, arghhhhh

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  7. Aude dit :

    Bonjour,
    Je suis un petit sous-marin qui ne commente jamais mais j’ai suivi avec inquiétude le sort des expatriés français en Grande Bretagne.
    Et bêtement je n’ai pas pensé que c’était la même chose pour les expatriés britanniques en France !!
    Ma collègue d’anglais (je suis prof) vient de m’expliquer que les 1700 fonctionnaires britanniques risquent fort d’être radiés de la fonction publique du jour au lendemain le 29 mars.
    C’est vraiment écoeurant…
    Je mets à la suite un texte qu’elle m’a transmis (un peu long), ça peut être intéressant de faire un article là-dessus pour voir les conséquences en France aussi de ce foutu Brexit.
    Aude

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    Note sur la situation des Britanniques exerçant dans la fonction publique française en cas de Brexit sans accord.

    A. Ce qui est envisagé par le gouvernement français.

    1. Le projet de loi d’habilitation déposé devant le Parlement et adopté en 1ère lecture par le Sénat prévoit seulement que le Gouvernement pourra prendre par ordonnances les mesures relevant du domaine de la loi en matière de « règles applicables à la situation des agents titulaires et stagiaires de la fonction publique de nationalité britannique » (article 1er, alinéa 4)

    2. Mais il ressort des travaux de la Commission spéciale du Sénat que ce qui est envisagé (sans que la commission du Sénat ait émis de réserves) est que ces agents seront radiés d’office des cadres à compter du 29 mars 2019 et perdront leur qualité de fonctionnaires. Il s’agirait alors « d’organiser, le cas échéant, leur recrutement comme contractuels de droit public et définir les éventuelles règles de reprise de leur ancienneté » (Rapport Poniatowski, Sénat, p.43)

    3. Tout le raisonnement repose sur l’idée selon laquelle « la qualité de fonctionnaire (de ces britanniques) est un apport de l’acquis communautaire », i.e. de la citoyenneté européenne dont jouissait jusqu’à présent ces fonctionnaires d’origine britannique.

    4. Selon le rapport, en cas de Brexit sans accord, « ne remplissant plus la condition de nationalité de l’article 5bis de la loi Le Pors du 13 juillet 1983, » ils doivent (compétence liée) être radiés des cadres, sans aucune procédure contradictoire (car il ne s’agit pas d’une mesure disciplinaire).

    B. Critique de la position sénatoriale et gouvernementale.

    1. En droit, ce raisonnement est mal fondé.
    Ce n’est pas l’acquis communautaire et la citoyenneté européenne qui ont ouvert l’accès au statut de fonctionnaire pour des emplois ne touchant pas à l’exercice de la souveraineté et ne correspondant pas à des prérogatives de puissance publique.
    C’est la dérogation, organisée par des statuts particuliers, à la condition de nationalité française (exigée en revanche pour les emplois régaliens), fondée sur la prise en compte d’une compétence utile à la République et attestée par la réussite à des examens ou concours de recrutement.
    La preuve en est donnée par ces statuts particuliers, tels que celui des enseignants-chercheurs (décret n°84-431 du 6 juin 1984 portant statut des enseignants-chercheurs : pour les maîtres de conférences, article 27 « Les candidats ne possédant pas la nationalité française peuvent, en application des dispositions de l’article L. 952-6 du code de l’éducation, se présenter aux concours de recrutement de maîtres de conférences dans les conditions prévues au présent chapitre. » Pour les professeurs, article 42 : « Les candidats ne possédant pas la nationalité française peuvent, en application des dispositions de l’article L. 952-6 du code de l’éducation, se présenter aux concours organisés en application du présent article ».
    De même pour le statut particulier des corps de fonctionnaires du CNRS, décret n°84-1185 du 27 décembre 1984, article 24 : « Les agents non titulaires qui ont été recrutés dans un emploi permanent à temps complet inscrit au budget du C.N.R.S. ou de ses instituts nationaux ont droit à être titularisés dans l’un des corps régis par le présent décret, sous réserve : (…) 3° De remplir les conditions énumérées à l’article 5 de la loi susvisée du 13 juillet 1983. Toutefois, la condition de nationalité prévue au 1° de cet article n’est pas exigée des agents non titulaires de nationalité étrangère qui ont vocation à être intégrés dans les corps d’attachés de recherche, de chargés de recherche, de directeurs de recherche, d’ingénieurs de recherche et d’ingénieurs d’études »
    Il est très clair que ces emplois de fonctionnaires sont ouverts, de la même façon aux étrangers hors Union européenne et aux citoyens de l’UE n’ayant pas la nationalité française. Ce n’est donc pas cette citoyenneté européenne qui fonde l’accès à ces positions de fonctionnaire. Dès lors, la perte de la citoyenneté européenne, du fait du Brexit, pour les britanniques est sans incidence sur leur droit à demeurer fonctionnaires, droit fondé sur la même dérogation à la condition de nationalité que pour les étrangers non ressortissants d’un pays de l’UE.
    Certes, cela ne vaut, en droit strict, que pour les statuts de l’enseignement supérieur et de la recherche, mais l’existence de ces statuts suffit à démontrer que la qualité de fonctionnaire n’est pas, par essence, liée à l’acquis communautaire, et tomberait nécessairement en cas de perte de la citoyenneté européenne. Tout dépend alors du choix politique et moral que la République française décidera de faire :
    -soit, conformément au principe d’égalité de traitement, résoudre la difficulté par le haut, en faisant bénéficier tous les ressortissants britanniques de la disposition qui juridiquement s’impose pour une partie (sans doute substantielle) d’entre eux : la conservation de la qualité de fonctionnaire.
    – soit entrer dans des discriminations entre ressortissants britanniques fondées sur des considérations purement statutaires et formelles qui n’ont guère de raison d’être : le cas des PRAG (professeurs agrégés de l’enseignement secondaire détachés dans le supérieur) est emblématique de cette absurdité : comment les traiter équitablement ? La réponse qui s’impose, pour des personnes qui, souvent, sont titulaires d’une agrégation française et d’un doctorat français, et qui exercent dans l’enseignement supérieur, est qu’il faut leur faire le même sort qu’aux maîtres de conférences. La République en tout cas s’honorerait à faire, par esprit de simplicité, d’efficacité et de justice.

    2. En équité, la réduction à l’état d’agents contractuels telle qu’elle est envisagée est injuste et profondément choquante.

    a) Elle est vexatoire.
    Le rapport du Sénat l’apparente à la radiation des cadres intervenant en cas de déchéance de nationalité, de perte des droits civiques, ou de condamnation pénale (article 24 de la loi Le Pors)

    b) Elle sanctionne injustement des Britanniques qui ont choisi de mettre leurs compétences au service de la République française, en étant au surplus :
    – Souvent installés en France depuis longtemps, mariés à des Français(e)s, et
    ayant fondé une famille en France
    – De facto, dans leur immense majorité, hostiles au Brexit, sans avoir pu
    (parce qu’en tant qu’expatriés ils n’avaient pas le droit de vote au
    référendum britannique) défendre leur choix par le vote.
    – Ainsi ces personnes sont-elles doublement frappées et discriminées.
    Victimes d’un Brexit dont elles ne voulaient pas, elles seraient, en outre,
    sanctionnées par l’Etat français que pourtant elles servent !
    – Il n’est d’ailleurs pas de l’intérêt de la France de risquer devoir se passer de
    leurs compétences. Laboratoires et établissements d’enseignement notamment le savent pertinemment. Or les nombreux aléas et inconvénients d’une réduction au statut de contractuel, sans aucune garantie, peuvent les inciter à s’en aller, au détriment de ces services publics qui ont besoin d’eux.

    C. Conclusion : Pour cet ensemble de raisons, juridiques, pratiques et éthiques, il est indispensable que le projet de loi d’habilitation comporte une disposition très simple, précisant que : « En cas de Brexit sans accord, les agents titulaires et stagiaires de la fonction publique de nationalité britannique conservent cette qualité, sauf circonstance ou raison exceptionnelle, à justifier au cas par cas ».
    Il est souhaitable que lors de l’examen du projet de loi par l’Assemblée nationale, un amendement de la commission soit déposé en ce sens et adopté par le Parlement.

    Pierre Sadran
    16 novembre 2018

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    • pomdepin dit :

      Merci pour le partage. Le sénat vient de voter une proposition de loi qui va dans le sens d’une protection des britanniques https://london.frenchmorning.com/2018/11/08/le-senat-francais-valide-le-projet-de-loi-sur-le-brexit/?fbclid=IwAR2aotjTsKjNenbPeP-bqEWrN1gSjzVPbMZBTKUzFtbGU6rRmx12EbcShiE

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      • Aude dit :

        Merci pour le lien, qui semble effectivement aller dans le bon sens.
        De ce que j’ai compris c’est quand même pas si clair que ça protègera vraiment les britanniques :

        « Mais il ressort des travaux de la Commission spéciale du Sénat que ce qui est envisagé (sans que la commission du Sénat ait émis de réserves) est que ces agents seront radiés d’office des cadres à compter du 29 mars 2019 et perdront leur qualité de fonctionnaires. Il s’agirait alors « d’organiser, le cas échéant, leur recrutement comme contractuels de droit public et définir les éventuelles règles de reprise de leur ancienneté » (Rapport Poniatowski, Sénat, p.43) »

        Ce qui signifierait que les fonctionnaires britanniques passeraient d’un statut hyper protégé à un CDD beaucoup plus précaire.
        Mais bon j’ai surtout l’impression qu’en fait personne ne sait vraiment ce qui va se passer après le 29 mars…

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      • pomdepin dit :

        C’est tout frais, et je ne trouve plus le lien, mais l’état français a confirmé que les britanniques fonctionnaires pourront le rester.

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